lundi 6 septembre 2010

[Qui fait non, non, non, non, non, non... Non!]

Le jeune homme est assis dans le corridor. Les jambes étendues, appuyé sur ses coudes, il regarde au loin, il regarde le mur qui lui fait face, il regarde le vide de sa vie. Un antique jouet semble le narguer du haut d’une commode ; poupée, pouffiasse, blondasse, bonnasse. Connasse. Il se relève ; s’en saisit. L’objet qui un jour a comblé un enfant en est aujourd’hui réduit à l’état de.. chose. Sans intérêt. L’enfant en question, c’est l’homme du couloir, d’ailleurs. Il contemple désormais la poupée avec attention. Là où devait être son bras gauche il y a quelques années, il y a maintenant un cure-dent garni de coton, retenu par un pauvre sparadrap à moitié décollé. Ses cheveux sont mal coupés, on peut encore voir les marques de coups de ciseaux compulsifs d’un gosse qui n’avait trouvé que ça pour couvrir sa haine. Un gosse détruit.
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L’homme se rassoit. La poupée à la main. Il se souvient des heures passées à la regarder, cette putain de poupée. Gamin, il lui faisait des discours sur la vie. A elle, il lui parlait, pas comme à sa mère. Quelle pute celle-là. Si seulement elle voulait bien crever… Son regard se plonge dans le décolleté conséquent de la minable parodie de femme qu’il tient entre ses doigts. La femme parfaite n’existe pas. Lui, ce qu’il veut, c’est simplement que quelqu’un l’aime. Sans qu’il ait besoin d’aimer en retour. Les sentiments ? Lui n’en a jamais éprouvé, et n’en ressent pas le besoin. Il n’a juste pas la moindre envie d’être seul.
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La faible lumière qui l’entoure s’estompe peu à peu : la nuit approche, mais le jeune homme reste assis, toujours là, devant la porte d’entrée. Perdu dans une réflexion sans fin sur tout, sa vie, rien, surtout rien, il se laisse porter par le temps, revient des années en arrière. Il est là. Au même endroit. Mais avec une dizaine d’années de moins. Il revoit les yeux inexpressifs de sa mère. Salope. Elle l’engueule. Encore. A corps. Et lui n’écoute plus depuis longtemps. Il a abandonné le combat, ne prête plus attention aux paroles de celle qui a eu le malheur de lui donner la vie ; c’est d’ailleurs sans aucun doute sa plus grande erreur. Il se souvient de quelques bribes de phrases. Des mots lui reviennent : « poupée », « monstre ». Il revoit ce fameux jouet, disloqué, la chevelure légèrement brûlée, panteler pitoyablement entre ses doigts. Sa mère s’inquiète de le voir si froid, distant. Seul. A vrai dire, il n’est pas tout à fait seul, il est même plutôt apprécié. Mais lui n’apprécie pas. Pour lui, ça n’a jamais été un problème. Il ne s’apprécie pas lui-même, comment pourrait-il ne serait-ce que concevoir avoir le moindre sentiment pour un autre ? Sa mère lui a donné la vie ; elle la lui a ôtée aussitôt, en lui insufflant le pouvoir de la haine. En réalité, l’homme pense qu’il est mort avant d’être né. Voué à l’échec.
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Le souvenir s’efface, le couloir s’assombrit ; la commode fraichement lustrée laisse place au meuble ancien, poussiéreux. Et la poupée reste toujours serrée dans les mains du jeune homme. Elle lui a tenu compagnie durant des années. Bouche d’égout : c’est par elle qu’il évacuait sa colère. Ultime preuve de son inhumanité. Il remarque que les jointures de ses doigts blanchissent peu à peu. Un plop retentit, brisant le silence ambiant : la tête du jouet roule à terre, et ce qui reste du corps pend disgracieusement au bout de ce qui fut jadis une jambe.
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Il aura bien joué, avec elle.
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Faible petit pantin.

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