C’est ce jour-là que ma vie s’est arrêtée. Que je suis décédée. Morte. A l’intérieur. Que j’ai cessé d’exister.
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La pluie battait contre la fenêtre, et le ruisseau jouxtant le jardin s’était fait torrent. Les gouttes d’eau s’écrasaient avec un bruit sourd contre la petite vitre, et les volets de part et d’autre de celle-ci claquaient l’un après l’autre, comme dans une danse rythmée par le vent.
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« Un ouragan. »
« La tempête de l’année. », avaient-ils annoncé, à la radio.
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J’imaginais déjà les routes barrées par des arbres fracassés contre le sol, les lignes à haute tension tombées, s’agitant comme de grands serpents, crachant des étincelles. Toute petite, ma mère me disait déjà que j’avais trop d’imagination, que cela me jouerait des tours. Que je n’avais pas les tripes. C’est vrai, je n’ai jamais été bien courageuse ; pourtant, ce jour-là, c’était différent, la peur me taraudait, vraiment.
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Cela faisait alors quatre mois que j’avais investi ce petit pavillon, isolé, pittoresque coin de forêt, à la sortie d’un village. Premier pas dans la vie, ma vie, premier logement, première voiture, premiers accrochages. Et le toit qui fuyait. Et les toilettes qui n’avaient de cesse de se boucher. Et les murs mal isolés. C’était mon chez-moi, à moi. Toutefois, j’y étais seule, et c’était difficile.
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J’ai l’impression que c’était hier. Que rien n’est arrivé depuis.
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Recroquevillée sur mon fauteuil, j’observais les flammes du poêle factice qui tenait lieu de cheminée. La télévision me faisant encore défaut – panne perpétuelle -, j’avais gardé ce présent de ma tante : quitte à s’ennuyer, autant le faire devant une image assez peu réaliste d’une flamme pixelisée. Mes yeux avaient besoin d’un endroit où se fixer sans regarder, cette horreur faisait l’affaire.
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Tap. Tap. Tap.
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Le bruit de la pluie m’exaspérait. Silence intérieur troublé par l’infernal boucan du déluge, et le tic-tac régulier de la pendule près du téléphone. A deux doigts de la crise de nerfs, je saisis le livre le plus proche : Les Nains, de Heitz. Commençais à en feuilleter les pages. Je l’avais terminé l’avant-veille. Je priais pour qu’un heureux inconnu se présente à ma porte, vienne rompre le malaise ambiant. Car même seule, je parvenais à créer une gêne.
Formidable.
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