dimanche 9 janvier 2011

Il était une fois.

[Born to be erased]²
Conte pour enfant, ou La Manière de
Mettre en Oeuvre un Talent Absent pour
Ecrire un N'importe Quoi qui
Ressemble à Quelque Chose.
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Imaginez une prairie. Petite, mais pas trop ; jolie, envahie par d'innombrables fleurs : coquelicots, marguerites, pensées, campanules, cirses, bleuets, et j'en passe. Des centaines de nuances se mêlent en ce lieu : bleu roi, rouge vif, rose pâle, mauve, vert d'eau, jaune soleil... Toute une palette végétale s'offre à vous. Un jeune chêne pousse en son centre, abreuvé par un mince ruisseau. Le ruisseau est clair, il traverse la prairie d'un bout à l'autre, vous pouvez le voir s'enfoncer dans la forêt avoisinante, serpentant entre les châtaigniers et les sapins. Bordé de roseaux, le cours d'eau se démarque du reste du petit champ par son bleu gris fascinant, comparable à la teinte que prennent les montagnes, le soir, lorsque la lune illumine la vallée environnante.
C'est bon ? Vous visualisez ? Très bien.
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Il est midi, le soleil est à son zénith, l'ombre se fait rare dans la clairière. La chaleur est étouffante ; vous apercevez un lièvre qui, à la vitesse de l'éclair, traverse les herbes hautes. Tout au fond, non, encore plus au fond, voilà, il y a une tache sombre, pas assez toutefois pour se confondre parfaitement avec les buis. C'est une biche.
Le contexte est posé, nous pouvons donc commencer.
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La fillette s'avance discrètement. Une biche ! Elle n'en avait jamais vu ailleurs que dans les parcs animaliers. C'est grand... La taille d'un petit cheval. Impressionnant. Elle lève la tête, la jeune fille s'arrête : ses pieds sont comme reliés à ceux du cervidé, un pas de plus et ceux de l'autre prendront la fuite. Elle s'écarte, l'enfant s'accroupit : seuls quelques mètres la séparent encore de l'animal. Elle est contre le vent, la biche ne la sentira donc pas, c'est une occasion fabuleuse et unique d'approcher ce majestueux animal.
Ses genoux, ankylosés, eurent un moment de faiblesse ; contrainte à se redresser, la fillette évita une chute plus que probable en avançant d'un pas, utilisant ses bras comme balancier (a-t-on déjà vu pareille cruche ?).
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"Merde !"
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Sa jolie robe de poupée couleur ivoire s'était prise dans un de ces superbes Carduus Nutans ; les oiseaux perchés sur le petit chêne à quelques pas purent alors admirer la fille, engagée dans un combat san fin avec le gigantesque chardon qui lui faisait face. Oubliée, la biche. De loin, deux perdreaux virent un tourbillon beige s'arracher au piège d'un végétal sans merci, reculer de trois pas sous la force insoupçonnable de l'assaut final, qui avait décidé de l'issue de la bataille.
Essoufflée, la jeune fille prit un temps pour remettre en place les deux rubans vermillon qui ornaient sa longue chevelure dorée, légèrement ébouriffée par l'incident.
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Soudain, un bruissement vint troubler le calme retrouvé de la prairie ; la fillette pivota sur ses mignons petons. La biche ! Elle avait oublié l'animal, idiote qu'elle était. Le cervidé s'était écarté, et le léger bruit qui avait retentit était dû aux herbes que les quatre sabots d'un jeune faon, superbe dans sa beauté maladroite, avait remuées. Le petit se mit à brouter, pas dérangé le moins du monde par la jeune fille éberluée qui se dressait à une quinzaine de pas de lui. La mère regardait l'enfant d'un air mi-apeuré, mi-intrigué ; les mêmes expressions se reflétaient dans le regard de la fille. Alors, prise d'un soudain élan de courage, cette dernière s'avança, lentement, jusqu'à n'être plus qu'à un mètre de l'animal. Elle tendit le bras ; c'était pour elle un moment de pur bonheur, joie de partager l'inavouable secret qu'était celui de l'honneur que lui faisait la biche. La forêt s'était tue, scène pittoresque, le silence était lourd, comme si la faune et la flore étaient en extase devant cet insoutenable suspense : l'humain apprivoiserait-il l'animal ? La jeune fille n'en pouvait plus, elle fit un dernier pas, haletante.
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Un coup de feu retentit et la bête s'écroula à ses pieds.
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J'avais envie de continuer mon Grand N'importe Quoi en racontant dans de plus amples détails une suite assez glauque, mais je me suis dit que ce serait assez déplacé étant donné que ce texte m'a été demandé et que j'ai promis, je cite : un texte 'mignon'.
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Pour moi, voilà ce qu'est la 'mignonnerie' : c'est la mièvrerie, c'est niais, c'est idiot, c'est des fleurs, des boucles d'or, des robes de princesse, des sourires à en pleurer d'ennui, des soupirs d'extases poussés à n'en plus finir, des rubans roses, des oiseaux qui viennent se poser dans le creux d'une main, les biches de Blanche Neige, la Belle au Bois Dormant qui chante avec les zozios, la nature dénaturée et l'homme projeté au rang de Dieu. Le mignon, c'est ça : c'est con.
L'organe d'intellect qu'abrite ma cavité crânienne ne sait plus œuvrer en paix, et s'apprête sans aucun doute à éclater de façon violente. Le myocarde caché derrière ma cage thoracique en est quant à lui au stade de supernova.
Dussé-je vivre encore un vingtième de décennie que cela serait trop. Puis-je devenir un macabre corps mort dès cet instant ? Il serait sympathique de la part du Seigneur omnipotent et omniscient d'accéder à ma requête.
Je vous prie d'agréer, madame, monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.
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Ta cavité buccale, l'organe d'intellect abrité par l'extrémité supérieure de mon corps.
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Mes états affectifs se mélangent, formant un commencement de pathologie plus ou moins grave caractérisée par une fatigue chronique, un manque d'enthousiasme avéré, un accablement certain mais toutefois inexpliqué et une incapacité maladive à opter pour une vision optimiste du reste de l'univers. Il aurait été bien venu que cet état d'âme patiente jusqu'à l'avènement de ma 157 680ème heure de vie pour se déclencher, toutefois il semblerait que le destin soit d'une injustice probante, et que l'on ne peut avoir ce que l'on désire.
Ainsi, il ne m'est point possible aujourd'hui d'abreuver ma cavité buccale jusqu'à que coma éthylique s'en suive, fait fâcheux mais malheureusement indéniable.
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Cependant, ma personne reste douée d'une certaine patience, ce qui la dote d'un instinct de survie assez inégalable ; résistant au pulsions profondes décrites par notre érudit de la science de l'esprit, Freud, qui me poussent à propulser de façon brutale ma boîte crânienne contre une paroi de type béton, bois ou acier, j'attendrai de manière tout à fait calme ma 6570ème journée afin de faire décéder par asphyxie ce sentiment d'injustice en l'immergeant dans un liquide fortement alcoolisé, le tout de façon bien évidemment totalement légale.
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Cette fin de journée marquera le commencement de ma période de non travail. Toutefois il faut bien avouer que malgré l'absence actuelle de vitalité qui ronge ma personne je ne parviens pas à trouver le chemin menant aux membres supérieurs de Morphée. Peut-être arriverai-je à entrer dans l'état intermédiaire entre le sommeil et la veille : qui vivra verra. Je perçois une sensation physique à tendance pénible voire insupportable le long de mon tronc, sans compter celle morale insurmontable, que j'éprouve actuellement lorsque les images apportées par mes neurones me conduisent vers cet individu de sexe masculin qui hante mon outil principal de réflexion occupant l'extrémité supérieure de mon corps.
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Je me sens comme une personnalité féminine de sang royal décédée.

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11.2009